Les concours d’art et littérature

Le pentathlon des muses

ImageDurant les Jeux Olympiques, les compétitions n’ont pas concerné que des sportifs. En effet, de 1912 à 1948, artistes, écrivains et musiciens ont participé aux Jeux, dans le cadre des «concours d’art et littérature». Ceux-ci sont nés grâce à la ténacité de Pierre de Coubertin, qui désirait ajouter un volet culturel aux Jeux. En 1906, à l’occasion du quatrième congrès olympique, le Comité international olympique (C.I.O.) décide d’associer les arts et lettres à la célébration de l’olympiade. Il crée cinq concours (architecture, sculpture, musique, peinture, littérature). Ces concours devaient intégrer le programme à l’occasion des Jeux de 1908, mais, en raison du transfert tardif des Jeux de la IVe olympiade de Rome à Londres, la Royal Academy ne parvient pas à organiser ces concours. Les premiers eurent donc lieu en 1912.

1912. Stockholm

1912WinansOKLes débuts s’avèrent difficiles, car les artistes et écrivains suédois sont opposés à ces concours, tout comme le comité d’organisation. Aussi, très peu d’artistes prennent part aux concours. MM. Hohrod et Eschbach obtiennent une médaille d’or, dans la catégorie littérature, pour un texte bilingue français-allemand, intitulé Ode au sport (il s’avère rapidement que l’auteur de ce texte n’est autre que Coubertin lui-même). Les architectes suisses Alphonse Laverrière et Eugène Monod l’emportent dans la catégorie architecture pour Plan d’un stade moderne, alors que l’Américain Walter Winans, vainqueur du concours de sculpture pour une statuette en bronze baptisée An American Trotter, remporte aussi à Stockholm une médaille d’argent dans une compétition de tir. Les Italiens Riccardo Barthelemy (musique) et Carlo Pellegrini (peinture) sont les autres lauréats

1920. Anvers

1920COLLINLes concours ne connaissent toujours pas un grand succès. Le jury n’accorde que trois médailles d’or, à des artistes de second plan: Raniero Nicolai (Italie, littérature); Georges Monnier (Belgique, musique); Albéric Collin (Belgique, sculpture). On note que le célèbre écrivain britannique Theodore Andrea Cook n’obtient que la médaille d’argent en littérature.

1924. Paris

1924JACOBY2À Paris, le succès n’est toujours pas au rendez-vous. Aussi, le jury n’accorde que deux médailles d’or: le célèbre artiste luxembourgeois Jean Jacoby est couronné dans la catégorie peinture; le talentueux poète français Géo-Charles est distingué dans la catégorie littérature. Coubertin se désole: «Il faut […] la présence des génies nationaux, la collaboration des muses, le culte de la beauté, tout l’appareil qui convient au puissant symbolisme qu’incarnaient dans le passé les Jeux Olympiques et qu’ils doivent continuer de représenter aujourd’hui.» On note une curiosité: le Hongrois Alfred Hajós, champion olympique de natation en 1896, obtient une médaille d’argent dans la catégorie architecture.

1928. Amsterdam

1928LandowskiOKEn 1928, à Amsterdam, ces concours sont d’une tout autre envergure: d’abord, plus de mille artistes venus de dix-huit pays présentent leurs œuvres; ensuite, les concours prennent réellement le caractère d’«épreuves», notamment parce que chacune des cinq catégories se voit subdivisée en «sous-catégories» («design architectural» et «urbanisme» pour l’architecture; «bas-reliefs et médailles» et «statues» pour la sculpture; «dessin», «peinture» et «arts graphiques» pour la peinture; «littérature épique», «littérature dramatique» et «textes lyriques» pour la littérature; «chansons»; «musique pour orchestre»; «solo» pour la musique). Et des artistes de grand talent sont récompensés. Ainsi, l’architecte Jan Wils est couronné pour la réalisation du magnifique stade olympique (Olympisch Stadion) de ces Jeux d’Amsterdam (design architectural), le célèbre sculpteur français Paul Landowski reçoit la médaille d’or pour Le Boxeur (statues), le peintre néerlandais Isaäc Israels obtient la médaille d’or pour Le Cavalier rouge (peinture), le poète polonais Kazimierz Wierzynski est récompensé pour Lauriers olympiques (textes lyriques). Les autres médaillés d’or sont William Nicholson (Grande-Bretagne, arts graphiques), Edwin Grienauer (Autriche, bas-reliefs et médailles), Ferenc Mezo (Hongrie, littérature épique).

1932. Los Angeles

1932KNOCKOKEn 1932, ces concours connaissent encore un joli succès, puisque plus de mille œuvres sont présentées. L’Américain Joseph Webster Golinkin obtient la médaille d’or pour Leg Scissors (arts graphiques), son célèbre compatriote Mahonri Mackintosh Young reçoit la même distinction pour sa sculpture The Knockout, le poète allemand Paul Bauer est médaillé d’or pour Am Kangehenzonga (La Lutte avec l’Himalaya). On note que le célèbre architecte américain John Russell Pope ne reçoit que la médaille d’argent dans la catégorie design architectural, le jury récompensant les Français Pierre Montenot, Gustave Saacké et Pierre Bailly. Les autres médaillés d’or sont le Britannique John Hughes (urbanisme), le Tchèque Josef Suk (musique), le Suédois David Wallin (peinture), l’Américain Lee Blair (aquarelles et dessins), le Polonais Józef Klukowski (bas-reliefs). Parmi les membres du jury figurait André Maurois, qui accorda une mention «honorable» à Avery Brundage, futur président du C.I.O., pour son essai The Signifitance of Amateur Sport.

1936. Berlin

1936MARCH-OKEn 1936, les concours d’art et littérature n’échappent pas plus que toutes les manifestations olympiques à la mainmise nazie, comme en témoigne la composition du jury, au sein duquel figurent Adolf Ziegler, président de la Reichskammer der Bildenden Künste (chambre des Beaux-Arts), qui sera chargé par le régime de combattre l’«art dégénéré», ou Hanns Johst, président de la Reichsschrifttumskammer (chambre de la Littérature) et de la Deutsche Akademie für Dichtung (académie de poésie), qui sera officier dans la SS. Et, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, les médaillés d’or allemands sont nombreux: Werner March, concepteur du gigantesque Olympiastadion, conjointement avec son frère Walter March (urbanisme); Werner Egk (musique pour orchestre); Paul Höffer (musique chorale); Felix Dhünen (poésie); Emil Sutor (bas-reliefs). Les autres champions olympiques sont le Finlandais Urho Karhumäki (littérature épique), le Suisse Alex Diggelmann (arts graphiques), l’Italien Farpi Vignoli (statues), l’Autrichien Hermann Kutschera (design architectural).

1948. Londres

1948THOMPSON-OKEn 1948, aux Jeux de Londres, dans l’austérité de l’époque, les concours d’art et littérature sont relégués au second plan, et de nombreuses distinctions ne sont pas attribuées, faute d’œuvres de valeur. On peut néanmoins noter que le graveur français Albert Decaris reçoit la médaille d’or pour La Piscine, dans la catégorie gravures et arts graphiques, tout comme le Britannique Alfred Thomson, dans la catégorie peinture, pour London Amateur Championship. Les autres lauréats sont la Finlandaise Aale Tynni (poésie), l’Italien Giani Stuparich (littérature épique), le Polonais Zbigniew Turski (musique orchestrale), le Suédois Gustav Nordahl (statues).

La fin des concours d’art et littérature

Après ces Jeux de Londres, le «pentathlon des muses» cher à Pierre de Coubertin disparaît du programme olympique. Le C.I.O. se serait-il rendu compte que le mélange des genres aboutit à la médiocrité et que les «champions olympiques» sont couronnés pour des œuvres qui ne trouveraient pas leur place dans un grand musée ou dans une anthologie littéraire? Nullement! En fait, le C.I.O. considère, cette fois à juste titre puisque les artistes tentent de vivre de leur talent, que les participants à ces concours sont des «professionnels»; allant au bout de sa logique concernant la notion d’amateurisme, il décide, à l’occasion de sa quarante-quatrième session tenue à Rome en 1949, de supprimer les concours artistiques du programme.

©Pierre LAGRUE




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